© Camille Drouet
Vendredi 1er Août, ils étaient une centaine à prendre le premier départ sans savoir que quelques minutes plus tard, ils écouteraient la voix envoûtante de Mélanie De Biasio sur les bancs d’une église. A peine les portes du bus refermées, la conversation s’engage dans la pénombre entre la centaine de passagers.
Comme à l’accoutumée dans les transports, c’est la météo et les trente degrés qui s’abattent sur le festival à peine commencé qui permettent de nouer le premier contact. Etrangement, la fébrilité qui gagne peu à peu les fauteuils à motifs bariolés et le couloir du bus ne porte pas sur l’artiste, pourtant un de ceux qui se produira quelques heures plus tard devant des milliers de spectateurs. « On va où ? », s’interrogent les passagers.
SURPRENDRE, DÉORIENTER, ENVOÛTER
©Camille Drouet
Lors des éditions précédentes, les Nuits secrètes ont investi granges réaménagées, châteaux, piscines ou anciennes écoles. « Tous les ans, nous essayons de surprendre les festivaliers, en cherchant de nouvelles petites pépites cachées », explique Cécile Gervaix, de l’organisation.
A bord, pour désorienter un peu plus ceux qui participent au premier des seize « parcours secrets » du festival, le chauffeur enchaîne les tours de ronds-points. Pas facile de tenir debout dans le noir. A chaque nouveau giratoire, monte une clameur similaire à celle qui précède une descente de grand huit. Un festivalier, à mi chemin entre l’amusement et l’agacement plaisante : « Il n’y en a qu’un seul qui est déjà ivre à cette heure-ci. C’est le chauffeur. »
Pourtant le nombre de bracelets qui entourent son poignet fermement agrippé à la barre du bus atteste qu’il est habitué des lieux. D’autres le sont nettement moins. « Pour que personne de reste en dehors du secret. Une cagnotte a été ouverte cette année. Les spectateurs les plus riches se délestent de quelques euros pour inviter les plus modestes », explique Sébastien Coupez, le directeur du festival.
Le conducteur klaxonne. « Ça c’est qu’on arrive ! », conclut Alain qui fait figure d’expert avec plusieurs parcours à son actif. Perdu. Le bus poursuit sa route vers l’inconnu. Un enfant a repéré un trou microscopique dans le papier aluminium qui recouvre les vitres. Il croit reconnaître plusieurs fois « la maison de mamie ». Non loin de lui, un trentenaire demande à haute voix : « C’est encore loin ? » Le bus ralentit. « On arrive », retente Alain. Encore perdu.
Quelques minutes plus tard, les portes s’ouvrent enfin. Au milieu des nombreux jeunes urbains qui débarquent, seul Daniel, 70 ans, reconnaît les lieux, incrédule. Devant lui, se dresse la toute petite église en briques rouges d’Ecuélin, un village de 118 âmes. « Je n’ai pas mis les pieds ici depuis soixante ans », s’étonne ému le mécanicien à la retraite.
« JE NE PENSAIS PAS ÊTRE APPLAUDIE DANS UN LIEU SAINT »
©Camille Drouet
Dans un silence religieux, le public prend place entre les murs qui racontent la passion du Christ. Cela fait longtemps que l’église n’a pas été si comble. C’est assis par terre ou sur des prie-Dieu centenaires que certains découvrent les notes envoûtantes de la flûte traversière de Melanie De Biasio qui s’élève depuis l’autel sous les bras en croix de Jésus. Dans ce lieu minuscule, bercé par la lumière des vitraux, l’acoustique est parfaite.
Les premiers applaudissements sont timides. Les bras résolument croisés, une femme râle à l’oreille de son mari : « Pas dans une église, tout de même. » L’étonnement est visible sur le visage de la chanteuse. Elle ne s’attendait pas « à être applaudie dans un lieu saint ». Pourtant, la voix sensuelle de Melanie De Biasio frôle parfois le divin.
Certains spectateurs oublient la solennité du lieu et battent la mesure, d’autres s’amusent de la transgression. « C’est le son du Christ », lâche discrètement un jeune barbu. Soudain la chanteuse, pourtant si discrète depuis le début du concert s’arrête. « Quelle heure est-il ? », demande-t-elle au public.
L’horloge de l’église indique presque 17 heures. Mélanie De Biasio marque une pause. Cinq coups de cloches viennent ponctuer le début de sa dernière chanson. Des applaudissements nourris, accompagnés de cris réclamant un rappel, résonnent sous la nef. Au troisième rang, la dame aux bras croisés se risque à quelques applaudissements en levant les yeux aux ciels, tandis qu’une partie du public se lève.
Sur le parvis de l’église entouré des tombes de l’ancien cimetière, certains se perdent en superlatifs. Mélanie de Biasio sort saluer les passagers qui remontent dans le bus, direction une première nuit de concerts. Une habitante d’Aulnoye-Aymeries l’interpelle : « Franchement au début c’était bizarre. Mais en fait, j’ai adoré. » L’anecdote fait sourire le directeur qui aime à surprendre les festivaliers. Pari réussi.
Publié sur le site Internet du Monde, le 2 août 2014.
http://www.lemonde.fr/culture/article/2014/08/02/concerts-mysteres-et-lieux-insolites-au-programme-du-festival-des-nuits-secretes_4466214_3246.html